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Les 19, 20 et 21 septembre 1956 à Paris, s’est tenu le premier Congrès des écrivains et artistes noirs à la Sorbonne. On doit l’initiative de la rencontre à Alioune Diop, le fondateur de la revue et des éditions Présence africaine. En compagnie d’Amadou Hampathé Bâ, Cheikh Anta Diop, Frantz Fanon, Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, Richard Wright ou James Baldwin, ils furent plus de cinquante venus d’Afrique, des Caraïbes et des Etats-Unis, à se rencontrer dans le but de donner une visibilité au "monde noir". Dans le contexte particulièrement tendu de la guerre froide et de la guerre d’Algérie, il a fallu le soutien d’intellectuels français comme André Gide, Jean-Paul Sartre, Albert Camus, Théodore Monod ou Claude Lévi-Strauss pour que le congrès puisse se tenir. Et c’est Picasso qui a dessiné le portrait d’homme noir sur l’affiche de la rencontre.

La première génération d’écrivains et de dramaturges africains a d’abord travaillé à la reconstruction d’une identité et d’une estime de soi mises à mal par des siècles de servitude et d’exploitation coloniale. 50 ans après les indépendances, une pléiade de nouveaux auteurs vivant en Afrique ou en exil revendique un art qui dise aussi le monde. Sans cesser de penser l’Afrique et leur identité, ces nouveaux écrivains, poètes et dramaturges se jouent des frontières, des définitions, des formes, des langues et de la syntaxe comme pour mieux garantir leur pérennité. "Qu’il y ait un théâtre africain, ou qu’il n’y en ait pas, n’est pas notre affaire", confie à sa façon l’écrivain et auteur de théâtre togolais Kossi Efoui. "La question que nous nous posons est celle des outils dont nous disposons aujourd’hui pour dévorer le monde, pour dire notre appétit du monde."

En 2007, le Man Booker International Prize britannique, l’une des plus importantes distinctions littéraires au monde, est allé à l’écrivain nigérian Chinua Achebe (photo 1, ci-contre). Interrogé à cette occasion, celui que Nadine Gordimer [1923-2014] considère comme "le père de la littérature africaine moderne" a déclaré que l’un des objectifs de la littérature africaine était d’élargir la littérature dans le monde, d’y inclure l’Afrique qui n’en faisait pas partie. Pour l’auteur de Things Fall Apart (Tout s’effondre, 1958), son tout premier roman devenu culte, traduit en une cinquantaine de langues et vendu à 12 millions d’exemplaires, "dans les histoires que nous racontons, nous essayons de résoudre le problème de cet échec qui a pris le dessus sur la joie et le bonheur que les Africains éprouvaient quand ils ont obtenu les indépendances, et leur droit à l’autodétermination."

[22 mars 2013 : Chinua Achebe s’est s’éteint à 82 ans.]

Malgré des faiblesses structurelles persistantes sur le terrain de l’édition, de la diffusion et de la lecture, le continent connaît l’émergence indéniable d’une littérature d’Afrique ou en relation avec elle, couronnée en particulier par quatre prix Nobel de littérature décernés à Wole Soyinka (Nigeria) en 1986, feu Naguib Mahfouz (Egypte) en 1988, Nadine Gordimer (Afrique du Sud) en 1991 et J. M. Coetzee (Afrique du Sud) en 2003.

Mais pendant ce temps, de nombreux hommes et femmes de plume ont payé le prix fort pour repousser les limites de la censure, résister à l’intolérance sous toutes ses formes et revendiquer la liberté d’expression et de conscience. Citons l’emprisonnement et l’exil de Wole Soyinka et Chris Abani en passant par l’assassinat de Ken Saro-Wiwa au Nigeria, les huit années de prison suivies de l’exil du poète marocain Abdellatif Laabi, l’emprisonnement du Kenyan Ngugi wa Thiong’o, qui a écrit l’un de ses livres dans les marges de sa Bible et sur du papier de toilette durant son incarcération, l’assassinat des Algériens Tahar Djaout, Youcef Sebti et Abdelkader Alloula ou encore l’agression à l’arme blanche de Naguib Mahfouz qui en gardera des séquelles.

En littérature aussi, l’Afrique fait régulièrement la matière de romans et de best-sellers écrits par des non Africains. Avec A Love Child (Un enfant de l’amour, 2007), le prix Nobel de Littérature 2007 Doris Lessing est retournée une nouvelle fois en Afrique, ici sur les pas d’un jeune britannique embarqué en 1939 dans l’enfer d’un bateau emmenant une cargaison de soldats vers l’Inde, avec escale au Cap en Afrique du Sud. La grande écrivaine contestataire qui a grandi en Rhodésie (auj. Zimbabwe), un pays voisin de l’Afrique du Sud, connaît bien les deux pays coloniaux fondés sur l’apartheid et le racisme. Dès son arrivée à Londres en 1949, elle s’est fait connaître avec The Grass is Singing (Vaincue par la brousse, 1953), dont l’héroïne est une jeune femme mariée à un fermier, qui déteste le mari, la ferme, le village, le pays, l’apartheid... Le livre connaît un succès immédiat et Doris Lessing, militante antiapartheid, sera longtemps interdite en Rhodésie et en Afrique du Sud.

[17 novembre 2013 : Doris Lessing s’est éteinte à 94 ans.]

C’est également le cas avec The Mission Song (Le Chant de la mission, 2007) de John Le Carré, un thriller construit autour d’un projet destiné à "apporter la démocratie et le développement au Congo oriental", autrement dit un putsch pour faire main basse sur les richesses minières de la région du Kivu, à la lisière du Congo et du Rwanda. En 2001 déjà, dans The Constant Gardener (La Constance du jardinier), le célèbre romancier et ancien agent des services secrets britanniques dénonçait les méthodes des multinationales de l’industrie pharmaceutique au Kenya.

Théâtre

Héritiers d’une mémoire en archipel, marquée par la violence d’une histoire qui est d’abord une histoire de la dépossession de soi, ils sont un certain nombre au théâtre à avoir investi leur art, d’abord, comme un lieu privilégié du questionnement. Ils ont pour noms Sony Labou Tansi (1947-1995), Athol Fugard, Mbongeni Ngema, Percy Mtwa, Koffi Kwahulé, Jalila Baccar, Biyi Bandele, Kossi Efoui, Koulsy Lamko ou Dieudonné Niangouna.

Ces dernières années, on a ainsi vu porter à la scène le génocide rwandais avec le magistral Rwanda 94, "une tentative de réparation symbolique envers les morts" entreprise par le Groupov de Bruxelles dans une mise en scène de Jacques Delcuvellerie ; un spectacle choral entrepris en 1996, créé en 2000 et dont la tournée a pris fin en 2005. De l’Ivoirien Koffi Kwahulé, l’auteur le plus souvent monté, on aura vu Big Shoot (m. en sc. Myriam Youssef en Belgique et aux Pays Bas et plus récemment par Michèle Guigon en France avec Denis Lavant), mais aussi Bintou (m. en sc. Laëtitia Guédon) et Jazz (m. en sc. Kristian Frédric).

Après Hamlet revisité par Hugues-Serge Limbvani avec une troupe d’acteurs du Congo-Brazzaville, du Togo, du Sénégal, de Côte-d’Ivoire et du Mali, le metteur en scène congolais a adapté Les Bouts de bois de Dieu du Sénégalais Ousmane Sembène. Le texte est inspiré de la grève d’octobre 1947 à mars 1948 de quelque 20.000 cheminots africains du Dakar-Niger. Citons également Corps otages de Jalila Baccar à Tunis et Paris (m. en sc. de Fadhel Jaibi), une adaptation de Verre Cassé, le roman du Congolais Alain Mabanckou, 47, un spectacle tiré de Madagascar 1947 de Jean-Luc Raharimanana et créé en septembre 2008 à Antananarivo (m. en sc. Thierry Bédard), Happy End du Togolais Kossi Efoui (m. en sc. de Nicolas Sælens), A Love Supreme, l’adaptation d’une nouvelle d’Emmanuel Dongala qui nous plonge dans les déchirements de l’Amérique noire sur des notes de John Coltrane (m. en sc. Luc Clémentin), Africare du metteur en scène belge Lorent Wanson avec 6 comédiens - musiciens congolais, une immersion dans le tumulte de la guerre au Congo qui mêle chant, danse, vidéo et témoignages, ou encore Les Antilopes et Ténèbres de l’auteur suédois Henning Mankell qui anime depuis 1996 une troupe à Maputo au Mozambique.

Nous n’oublierons pas En remontant le Niger (m. en sc. par Maria Zachenska), L’Etoile et la comète (m. en sc. de Ziani-Chérif Ayad) et Fada rive droite (m. en sc. de Nabil El Azan), tous trois de l’Algérien Arezki Mellal, ainsi que Les Coloniaux de Aziz Chouaki (m. en sc. de Jean-Louis Martinelli) sur les soldats coloniaux de la Première Guerre mondiale.

On mentionnera enfin Bintou Wéré. Un opéra du Sahel, un spectacle présenté comme le "premier opéra africain" créé en février 2007 à Bamako et représenté à Amsterdam et Paris. Cette odyssée des temps modernes met en scène une ex-enfant soldat et ses compagnons d’infortune depuis un village du Sahel jusqu’aux barbelés de Melilla, enclave espagnole au Maroc et antichambre de l’Europe. Sur un livret de l’écrivain tchadien Koulsy Lamko et une musique de Zé Manel Fortes (Guinée Bissau), Bintou Wéré est chanté en wolof (Sénégal), bambara (Mali), malinké (Guinée) et créole de Guinée-Bissau.
Le spectacle conjuguait une myriade exceptionnelle de talents africains, à commencer par les acteurs, un ensemble de musiciens sur instruments traditionnels, des danseurs de la Compagnie Jant Bi et une chorégraphie réglée par la Sénégalaise Germaine Acogny et la Togolaise Flora Théfaine, sans compter une direction artistique et musicale signée du Sénégalais Wasis Diop et des costumes et décors de la créatrice sénégalaise Oumou Sy. La mise en scène a quant à elle été confiée à Jean-Pierre Leurs, lui-même ancien comédien du Théâtre Daniel Sorano à Dakar. (Photo 1 : Chinua Achebe, DR | Photo 2 : J. M. Coetzee, DR)



 6 - 16 juillet 2009, Festival du théâtre africain, 2e Festival culturel panafricain d’Alger / Théâtre national
 10 - 12 juillet 2009, Colloque "Le Théâtre africain entre tradition et modernité", Alger / Complexe Laâdi Flici (Théâtre de Verdure) / Auditorium
 7 - 8 juillet 2009, Colloque international Frantz Fanon, 2e Festival culturel panafricain d’Alger / Bibliothèque nationale d’El-Hamma, Tel. : 213 (0)21 67 57 81/85
 21 - 29 juin 2009, 2e Festival international de la littérature et du livre de jeunesse, Alger / Esplanade de Riad el-Feth / 2z Festival culturel panafricain


* Top 12 des meilleurs livres africains du 20e siècle

En 2002, à l’initiative de la Zimbabwe International Book Fair, un panel de 16 chercheurs et critiques africains a publié sa liste définitive des 100 meilleurs livres africains du 20e siècle qui comprend notamment Driss Chraibi, Mohammed Dib, Yacine Kateb, Ahmadou Kourouma, Tierno Monenembo, Nawal El Saadawi, Tayyib Salih, Aminata Sow Fall, Sony Labou Tansi et Tchicaya U Tam’si. Les livres ont été écrits en anglais, en français, en portugais, en arabe et, pour une douzaine d’entre eux, dans des langues africaines comme le IsiXhosa et l’afrikaans (Afrique du Sud), le Kikuyu (Kenya), le Yoruba (Nigeria) et le swahili (Afrique de l’Est). Sur 1.500 nominations, voici le Top 12 :

 Things Fall Apart de Chinua Achebe (1958)
 Sosuís Call de Meshack Asare (1999)
 Une si longue lettre de Mariama Ba (1979)
 Terra Sonambula de Mia Couto (1992)
 Nervous Conditions de Tsitsi Dangarembga (1988)
 The African Origins of Civilization : Myth or Reality de Cheikh Anta Diop (1974)
 L’Amour, la fantasia d’Assia Djebar (1985)
 The Cairo Trilogy de Naguib Mahfouz (1945)
 Chaka de Thomas Mofolo (1925)
 The Years of Childhood de Wole Soyinka (1981)
 A Grain of Wheat de Ngugi wa Thiong’o (1967)
 Œuvre poétique de Leopold Sedar Senghor (1961)

 


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