Webnews > 2013 > Édouard Mills-Affif | إدوار ميلس عفيف

  Nouvelle vague : quand le cinéma prend des couleurs d’Édouard Mills-Affif

Lire aussi

Le film s’ouvre sur des images du Festival de Cannes 2006 qui a vu Indigènes de Rachid Bouchareb récompensé par un prix d’interprétation masculine décerné au collectif d’acteurs Jamel Debbouze, Sami Bouajila, Samy Naceri, Roschdy Zem et Bernard Blancan. "Voici les étoiles montantes du septième art, la nouvelle vague du cinéma français", souligne le commentaire avant de rappeler que, pour ces enfants de travailleurs maghrébins en France, les fastes de la Croisette, la montée des marches, le crépitement des flashs des photographes et leur trophée, tout cela n’est devenu possible qu’au prix d’une bataille de quarante ans pour gagner la lumière.

En 52 minutes, Nouvelle vague : quand le cinéma prend des couleurs d’Edouard Mills-Affif va s’employer à éclairer cette longue traversée du désert. Le film se nourrit de la thèse de Julien Gaertner sur "L’image de l’"Arabe" dans le cinéma français de 1970 à nos jours". Difficile bien sûr pour le réalisateur d’interroger tous les acteurs et d’entrer dans les détails d’une histoire bien plus dense qu’il n’y paraît. A partir d’entretiens souvent émouvants, d’extraits de films, d’archives de la télévision et de courtes incursions d’un commentaire qui reste sobre jusqu’au bout, s’esquisse peu à peu une brève histoire de la France contemporaine et de ses immigrés, une histoire des clichés accolés à l’Algérien, au Maghrébin, à l’immigré, au musulman et aujourd’hui encore à des Français nés en France de parents immigrés. Alors que par ces temps de mondialisation accélérée, la société française n’a cessé de bouger.

A l’écran, l’entreprise a commencé en 1970 avec Mektoub ? d’Ali Ghanem, le "premier long métrage d’un jeune Algérien de 26 ans, manœuvre sur les chantiers et apprenti cinéaste". Si Mektoub ? montre plus qu’il ne démontre, en faisant des immigrés -ici Algériens- les acteurs principaux de son film et en éclairant leurs conditions d’existence, Ali Ghanem a le mérite de les rendre visibles. Sorti dans deux salles parisiennes, Mektoub ? ne totalise que 5.000 entrées, mais il va connaître une importante diffusion militante en plein débat sur l’immigration en France, suscité par la mort tragique de cinq ouvriers africains dans l’incendie de leur foyer à Aubervilliers (région parisienne).
La même année, il y aura Elise ou la vraie vie de Michel Drach, puis tout au long de la décennie des films comme Les Ambassadeurs de Naceur Ktari (1975) et Ali au pays des mirages d’Ahmed Rachedi (1978). Au tournant des années 1980, Prends dix mille balles et casse-toi de Mahmoud Zemmouri (1981) est entrepris avec une régie de 50.000 F. Sélectionné à Cannes, ce film, qui fait le pari de l’humour et prend le contrepied des idées reçues sur l’immigration et l’invitation au "retour", rassemblera plus de 300.000 spectateurs.

Durant les années 1980, à l’image de La Balance de Bob Swaim (1982), la figure caricaturale du Maghrébin voyou, dealer ou terroriste s’épanouit à travers une pléiade de films qui contribue à formater cette image dans l’imaginaire des spectateurs, où les acteurs d’origine maghrébine sont invariablement confinés dans le rôle de "l’arabe de service" ; ce dont se souviennent Hammou Graïa, Zinedine Soualem, Souad Amidou, Djelloul Beghoura et Smaïn qui voit dans ces parti-pris "un manque d’imagination" et fait valoir qu’il s’agit là de "sursauts" de la guerre d’Algérie, "encore ce résidu du colonialisme et de la colonisation".

Découvert par hasard à sa sortie en salles, Mektoub ? d’Ali Ghanem a fait son effet sur un autre futur cinéaste, Mehdi Charef, qui réalise qu’il était possible de parler de soi au cinéma, de faire un film sur soi. Avec Le Thé au harem d’Archimède quinze ans plus tard, "l’arabe n’est plus un faire valoir, il existe" estime Karim Dridi. Malik Chibane juge Mehdi Charef "en avance, moderne, qui filme deux types, deux Français" tout simplement, avec ce qu’ils ont en commun. Le Thé au harem d’Archimède obtient le César du meilleur film. Lors de la remise du prix, le réalisateur songe naturellement au gamin qu’il fut 25 ans auparavant. Que de chemin parcouru depuis l’Algérie, le bateau, la gare d’Austerlitz, le bidonville de Nanterre, jusqu’aux projecteurs et aux caméras de la cérémonie des Césars.

Cinq ans plus tard, dans On peut toujours rêver, Smain est le premier acteur d’origine maghrébine à véritablement partager l’affiche avec Pierre Richard. Il est vrai que la "Marche des beurs" est passée par là. Puis viendront d’autres acteurs comme Abdellatif Kechiche, Hammou Graïa, Farid Chopel et Souad Amidou, suivis la décennie suivante par Sami Bouajila, Roschdy Zem, Djamel Debbouze, Sami Naceri, Zineddine Soualem et Fejria Deliba. Dans le même temps apparaissent des réalisateurs comme Rachid Bouchareb (Baton rouge, Cheb), Malik Chibane (Hexagone), Karim Dridi (Bye Bye), puis Yamina Benguigui (Mémoires d’immigrés, Inch’Allah dimanche) et Rabah Ameur-Zaimèche (Wesh, wesh, qu’est-ce qui se passe ? et Bled Number One), pour ne citer que les plus médiatiques.

Pour Malik Chibane, l’enjeu ensuite c’était "comment exister face à la stigmatisation permanente et lorsque tu existes, comment exister avec toute la complexité et là, l’espace il fallait le conquérir". Le milieu des années 1990 est le temps des banlieues avec La Haine de Mathieu Kassowitz, suivi deux ans plus tard de Ma 6T va cracker de Jean-François Richet qui prophétise l’embrasement de 2005. La Haine rassemble 2 millions de spectateurs et obtient le Prix de la mise en scène à Cannes et le César du meilleur film. Avec ces deux films sortis avant le Mondial 1998 et le doublé de Zidane en finale, fait observer le commentaire, "le cinéma prend de l’avance et fait la promo de la France black-blanc-beur".

Une autre décennie plus tard et c’est le coup d’éclat de l’Académie des Césars qui décerne, une première fois, 4 Césars à L’Esquive d’Abdellatif Kechiche. Celui-ci a choisi d’installer sa caméra au cœur des répétitions du Jeu de l’amour et du hasard de Marivaux avec une troupe improvisée de jeunes acteurs de la banlieue et tous inconnus. Interrogée, Sabrina Ouazani, l’une des révélations du film, venue de la cité des 4000 à la Courneuve, conclut tout simplement, "Moi aussi, je peux jouer, je peux faire quelque chose de bien. Moi aussi, je peux vous faire rêver, vous divertir. Moi aussi, je suis la France d’aujourd’hui". A la suite du réalisateur Nassim Amaouche (Adieu Gary) qui confie, "lorsque je représente la France dans des festivals à l’étranger, je suis un cinéaste français et je me sens extrêmement légitime", c’est encore Sabrina Ouazani qui convient que "oui, ça bouge", avant d’ajouter, "on prend de plus en plus de place, notre place".

Docteur en histoire et communication, Édouard Mills-Affif est notamment l’auteur de Filmer les immigrés. Les représentations audiovisuelles de l’immigration à la télévision française, 1960-1986 (De Boeck, 2004). Il a en outre réalisé Les Soleils de Sadia (17’, 1992), La Cité des pieds-noirs (52’, 1997) et Au pays des gueules noires, la fabrique du FN (52’, 2004). [Photo 1 : Le Thé au harem d’Archimède de Mehdi Charef | Photo 2 : La Graine et le mulet d’Abdellatif Kechiche]


 2 décembre 2013, Soirée : "Une longue histoire des arabo-orientaux en France : images, cinéma et représentations", Paris / Cinéma Le Louxor
 3 avril 2012, Paris / Cité nationale de l’histoire de l’immigration


 1ère diff. TV : 26 avril 2012 à 21 h 40 sur France 5


 Intervenants : Nassim Amaouche (réalisateur), Souad Amidou (actrice), Djelloul Beghoura (acteur, producteur), Kader Boukhanef (acteur), Mehdi Charef (réalisateur), Malik Chibane (réalisateur), Karim Dridi (réalisateur), Ali Ghanem (réalisateur), Hammou Graïa (acteur), Reda Kateb (acteur), Sabrina Ouazani (actrice), Smaïn (acteur), Zinedine Soualem (acteur), Mahmoud Zemmouri (réalisateur)


Nouvelle vague : quand le cinéma prend des couleurs
Un film d’Édouard Mills-Affif
Auteurs : Édouard Mills-Affif et Julien Gaertner
(Doc., 52 min., Fr, 2012)
Jem Productions


Bibliographie :

 Beur is Beautiful : Contemporary French-Maghrebi Cinema by Carrie Tarr, Special supplement, Cineaste, Vol. 33, n° 1 (New York, Winter 2007)
 Cinéma beur : Analysen zu einem neuen Genre des französischen Films von Cornelia Ruhe (Constance, UVK, 2006)
 Mehdi Charef. Conscience esthétique de la génération "beur" de Fabrice Venturini (Biarritz, Séguier, 2005)
 Reframing Difference : Beur and banlieue filmmaking in France de Carrie Tarr (Manchester University Press, 2005)
 Filmer les immigrés. Les représentations audiovisuelles de l’immigration à la télévision française, 1960-1986 d’Édouard Mills-Affif (Bruxelles, De Boeck, 2004)
 L’immigration et l’opinion en France sous la V° république d’Yvan Gastaut (Paris, Seuil, 2000)
 La marginalité à l’écran par Françoise Puaux, CinémAction, n°91 (Paris, Corlet, 1999)
 6e Festival international du film d’histoire de Pessac : les Émigrants (Catalogue, 1995)
 Cinémas métis : De Hollywood aux films beurs par Guy Hennebelle & Roland Schneider, CinémAction, n° 56 (Paris, Corlet/Hommes & Migrations/Télérama, 1990)
 Cinémas de l’émigration 3, Dossier réuni par Christian Bosseno, CinémAction, n° 24 (Paris, L’Harmattan, 1983)
 Cinémas de l’émigration, Dossier réuni par Guy Hennebelle, CinémAction, n° 8 (Paris, Filméditions, 1979)

 


Home | © algeriades 2000 - | Contact |
Aucune reproduction, même partielle, autre que celles prévues à l'article L 122-5 du code de la propriété intellectuelle, ne peut être faite de ce site sans l'autorisation préalable de l'éditeur.