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  Vies d’exils, des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie

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50 ans après la fin de la guerre d’Algérie et l’indépendance du pays, la Cité nationale de l’histoire de l’immigration à Paris propose "une plongée inédite dans le quotidien des travailleurs algériens en France entre 1954 et 1962". Avec l’exposition "Vies d’exils, des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie", dont l’historien Benjamin Stora fait observer que c’est la "première [...] de ce genre en France, et cela dans un établissement national", les commissaires Benjamin Stora et Linda Amiri ont eu le souci de porter "un regard attentif, sinon apaisé, sur une histoire complexe, souvent contradictoire". C’est dire que malgré plus d’un siècle de présence des Algériens en France, des pans entiers d’une lourde histoire politique et humaine restent encore trop peu connus.

Sur fond de guerre d’Algérie qui voit passer le nombre d’Algériens en France de 220 000 à 350 000 personnes, sans compter qu’à partir de 1956-1957 il ne s’agit plus exclusivement d’une immigration masculine puisque que des familles commencent à rejoindre leurs proches dans l’exil, l’exposition nous introduit par petites touches dans l’histoire et le "quotidien misérable mais d’une parfaite dignité" (Benjamin Stora) de ces hommes dans les baraquements ouvriers, les foyers de travailleurs, les cafés-hôtels, les garnis tenus par des compatriotes, les bidonvilles comme celui de Nanterre marqué par une forte concentration de familles jusqu’à sa démolition au printemps 1970 (et le relogement de ses habitants dans des cités de transit). Un numéro de la célèbre émission télévisée "Cinq colonnes à la une" sur les familles du bidonville de Gennevilliers en 1960, des photographies de Pierre Boulat et de Monique Hervo (qui a vécu 12 ans dans le bidonville de la Folie à Nanterre, parmi la population algérienne), un tableau d’André Fougeron, divers documents, photographies privées et témoignages, plantent le décor de lieux de vie travaillés par la revendication d’indépendance longtemps portée par la figure de Messali Hadj.

Jusqu’en 1954, les ouvriers algériens sont organisés dans les syndicats et participent à toutes les manifestations du mouvement ouvrier en France, mais la guerre qui radicalise les positions vient bouleverser la donne. Comme l’écrit l’historien Yvan Gastaut, la guerre achève de façonner "la figure de l’indigène algérien en métropole" comme "l’archétype de la menace pour l’ordre public". L’immigration algérienne, qui est rapidement associée aux actions des nationalistes algériens en faveur de l’indépendance, découvre un racisme ordinaire qui trouve de puissants relais dans la presse à grand tirage de la Ve République. Des solidarités se manifestent toutefois dans les partis de gauche, les syndicats, des associations comme la Cimade et auprès de nombreux intellectuels, artistes, militants et anonymes. Ici un "reportage" de Paris Match intitulé "Dans la Casbah de Paris" paru en juin 1957, là un tableau de grand format d’Erro ("Les Rats-cistes", 1959-1960) ou encore une enquête de Jean Cau dans les bidonvilles de Nanterre sur les assassinats et les "ratonnades" aux portes de Paris (L’Express du 24 octobre 1961), nous éclairent sur les lignes de tension ou de fracture dans la France d’alors.

Durant cette période amorcée dans les année trente avec des chanteurs et des refrains qui disent et perpétuent la mémoire du pays, des artistes comme El Hasnaoui, Slimane Azem, Akli Yahiatène, Saadaoui Salah, Salim el-Halali, Mohamed El-Kourd, la danseuse Sherazade..., entretiennent une vie culturelle confinée aux cafés, aux cabarets El-Djazair, El-Koutoubia, TAM-TAM (acronyme pour Tunisie-Algérie-Maroc) tenu par les parents de la future Warda el-Djazaïria et à quelque salles de spectacles. Pour illustrer le propos, il y a notamment cette photographie exposée du cinéma Nox sur le boulevard de Belleville à Paris qui annonce les vedettes égyptiennes Farid el-Atrache et Asmahane en 1953, un portrait du ténor et homme de théâtre Mahieddine Bachetarzi qui rappelle les tournées de la troupe arabe de l’Opéra d’Alger ou encore une note du commissariat de Nancy, en 1955, visant un spectacle de sketches et de couplets chantés de Slimane Azem et Saadaoui Salah, dont on surveille de près la moindre allusion publique en faveur de l’indépendance.

Des musiciens, des peintres et des écrivains algériens se font ainsi "passeur culturels", rejoints en cela par leurs homologues français qui prennent position et adoptent des attitudes de solidarité tout à la fois avec les immigrés et les insurgés algériens. L’exposition donne ainsi à voir des tableaux de Mohammed Khadda, Abdallah Benanteur et M’Hamed Issiakhem à côté de ceux de Robert Lapoujade, Alain Jouffroy et du natif de Constantine Jean-Michel Atlan, de l’Italien Leonardo Cremonini, du Chilien Roberto Matta avec son célèbre "La Question" (1958) et de Jacques Villeglé. On y croise aussi les figures des écrivains Jean Amrouche, Assia Djebar et Kateb Yacine invité à la télévision française pour parler de son roman, Nedjma, avec Pierre Desgraupes (1956).

Fortement politisée et mobilisée en faveur de l’indépendance, l’immigration algérienne va connaître des affrontements meurtriers entre militants algériens rivaux du Mouvement national algérien (MNA) et du FLN qui finira par s’imposer à partir de 1958. Elle va surtout subir des tracasseries de la part des autorités françaises sous la forme d’incessants contrôles d’identité, de perquisitions et d’arrestations arbitraires qui vont culminer avec les événements tragiques du 17 octobre 1961, suivis de la manifestation du 8 février 1962 pour la paix en Algérie. Les historiens commissaires de l’exposition parlent, pour cette période, de "la naissance d’un espace mixte entre le Maghreb et la France", la guerre achevant d’inspirer et de mobiliser nombre d’intellectuels et artistes algériens, français et internationaux pour la paix en Algérie. Parmi eux, des intellectuels et des militants comme Francis Jeanson, Henri Curiel et Adolfo Kaminsky vont s’illustrer dans un soutien sans faille à la lutte des Algériens pour l’indépendance, afin de préserver les liens de solidarité entre les communautés lorsque viendra le temps de la paix.

L’exposition se clôt sur le "oui" massif au référendum sur l’autodétermination de juillet 1962 et l’indépendance de l’Algérie, après quoi l’immigration s’attelle à écrire une nouvelle page de son histoire. Une entreprise de plus longue haleine, en France, qu’éclaire une belle citation de l’écrivain Mohammed Dib sur l’exil, adoptée ici en forme d’exergue à l’exposition : "Malgré toutes les vicissitudes auxquelles il nous expose, l’exil nous fait en même temps moins étrangers au monde, ses chemins sont, dans la mesure où nous le voulons, les plus sûrs à nous mener vers l’autre, notre semblable". (L’arbre à dire, 1998).

En s’interrogeant sur "la manière dont on écrit l’histoire", lors de l’inauguration de l’exposition, la ministre de la Culture Aurélie Filippetti rappelait qu’"on peut aussi se pencher sur la manière dont l’histoire nous écrit. Car, ajoute-t-elle, l’importance de l’histoire dans une société démocratique, tient précisément au fait qu’elle permet de passer outre ces conflits pour présenter des faits étayés, objectifs, parfois difficiles à admettre, mais qui nous aident, voire qui nous forcent à comprendre, et donnent enfin les mots à transmettre...". C’est précisément tout l’enjeu de cette exposition visible jusqu’en mai 2013.

Né à Constantine en 1950, docteur d’État en histoire et sociologie, Benjamin Stora a soutenu une thèse sur "L’histoire politique des immigrés algériens en France, 1912-1962" à l’université de Créteil en 1991. Professeur des universités, il enseigne à l’université Paris XIII et à l’INALCO (Langues orientales, Paris). Il a publié une trentaine d’ouvrages et collaboré à plusieurs films documentaires.
Enseignante et chercheure en histoire de l’immigration et du mouvement ouvrier, Linda Amiri prépare une thèse sur la Fédération de France du Front de libération nationale (1954-1962) à Sciences-Po Paris, sous la direction de Serge Berstein & Benjamin Stora. Elle est l’auteure de La Bataille de France, la guerre d’Algérie en métropole (Robert Laffont, 2004) et a participé à plusieurs ouvrages collectifs sur la guerre d’Algérie et sur l’histoire de l’immigration en France.



 9 octobre 2012 - 19 mai 2013, Paris / Ciné nationale de l’histoire de l’immigration
 21 mars 2013, "Les éditeurs engagés contre la guerre d’Algérie", Conférence de Julien Hage, Université de Versailles-Saint-Quentin
 17 janvier 2013, "Les immigrés algériens engagés dans la guerre d’indépendance", conférence de Linda Amiri, Centre d’histoire de Sciences Po et Nedjib Sidi Moussa, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, animée par Emmanuel Blanchard, Université de Versailles Saint-Quentin
 17 décembre 2012, "Mémoires de l’immigration algérienne" par Benjamin Stora, Amiens / Maison de l’égalité / Espace Dewailly
 25 octobre 2012, Paris / Institut des cultures d’Islam, 19-23 rue Léon, Paris 18e
 23 octobre 2012, "1912-1962 : Les travailleurs algériens en France", conférence de Benjamin Stora, Professeur des universités à l’Université Paris 13, Marseille / Archives départementales
 18 octobre 2012, Des paysans immigrés en France : les Algériens pendant la guerre d’Algérie, Blois / Les Rendez-vous de l’Histoire - Carte blanche à la Cité nationale de l’histoire de l’immigration et aux éditions Autrement
 11 octobre 2012, "Mémoires algériennes", Conférence de Benjamin Stora, professeur à l’Université Paris XIII


Catalogue : Vies d’Exil. Des Algériens en France pendant la guerre d’Algérie, 1954-1962
Ouvrage coordonné par Benjamin Stora et Linda Amiri (Commissaires de l’exposition)
(Paris, CNHI/Editions Autrement, sept. 2012)

 


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